Historique de la rééducation vestibulaire
A la fin des années 60 J-M STERKERS utilise une nouvelle voie d'abord otoneurochirurgicale afin de pratiquer l'exérèse des neurinomes de l'acoustique ou de sectionner le nerf vestibulaire chez des malades ayant développé une maladie de Ménière invalidante. La microchirurgie intracrânienne n'est pas courante à l'époque. Cette chirurgie de la fosse postérieure dans laquelle J-M S. excelle est une chirurgie exceptionnelle par le peu de séquelles postopératoires comparées aux séquelles de la "macrochirurgie".
Les séquelles les plus "voyantes" étaient : paralysie faciale et troubles de l'équilibre. A cette époque, il faut le dire, les tumeurs étaient de taille importante. Nous étions à l'aube de l'imagerie moderne pour ne pas dire qu'elle était inexistante. Les troubles de l'équilibre retardaient considérablement la réinsertion sociale.
J-M S. m'a demandé de rééduquer ses opérés afin de leur permettre un retour à une vie normale le plus rapidement possible tout en diminuant le temps d'hospitalisation. Les malades opérés ne souffraient pas de désordres moteurs comparables à ceux présentés par les malades de neurologie mais d'une atteinte neurosensorielle. Le système vestibulaire, les vestibulopathies, la physiologie des interactions vestibulaires et les plaintes des patients "vestibulopathes" ne faisaient pas et ne font pas partie du cursus d'un kinésithérapeute.
Les seuls documents disponibles, alors, concernant ce domaine, avaient pour auteurs COOKSEY et CAWTHORNE. Il s'agissait d'exercices de groupe avec des ballons. Le "meneur de jeu" lançait le ballon dans une direction impredictible à des malades placés sur un cercle dont il était le centre. Il y avait aussi des exercices de mouvements actifs de la tête. Nous nous sommes très vite rendu compte que le résultat obtenu chez les opérés était statistiquement peu différent de celui obtenu par un simple nursing.
J-M S. avec son avance considérable sur l'époque, en voyant des danseurs de ballet faire des pirouettes et des déboulés sans aucune erreur en fin de parcours a pensé: il faut faire la même chose avec les malades. L'idée était géniale, et on le verra par la suite, mais il faut le reconnaître difficilement réalisable. Ce que J-M S. avait remarqué était que les danseurs fixaient visuellement une cible pendant les trois quarts de leur rotation. Le secret était là. Le sujet en tournant gardait une référence visuelle fixe dans l'espace et la retrouvait à la fin de sa rotation et ainsi de suite. Il avait compris que la fixation visuelle était l'élément capital pour conserver l'équilibre. C'est ainsi qu' ont été conçus les exercices de rotation avec point de mire.
Dans une situation nouvelle à savoir une situation dans laquelle tout était à faire la rigueur était nécessaire. Il fallait étayer les observations et les actions par des données venues d'expérimentations scientifiques solides. Présenter une technique nouvelle sans références scientifiques était impossible et impensable. C'est ainsi que la Rééducation Vestibulaire (RV) a été conçue. C'était la fin des années soixante.
Dans un premier temps la R.V. s'est adressée aux suites opératoires. L'idée maîtresse était: se mettre dans une situation proche de l'état invalidant et se servir du poids de l'entrée visuelle pour obliger le cerveau à contrôler les réponses. Le terme utilisé était "habituation". Cette habituation par la répétition de mouvements invalidants devait aussi permettre la compensation centrale par l'utilisation de systèmes de substitution.
La R.V. a permis dans un premier temps de diminuer la durée du séjour en hospitalisation. Elle a permis la reprise du travail rapidement. On peut considérer aujourd'hui que le temps a été divisé par deux.
Ensuite on a tenté de rééduquer les malades en préopératoire pour améliorer le confort post-opératoire. On a eu la surprise de constater que les sujets ainsi rééduqués ne nécessitaient quasiment pas de R.V. en post-op. Cette différence étant dépendante, bien sûr, de l'état du vestibule en préopératoire. Il faut savoir que nous sommes maintenant au début des années 70 et que les explorations fonctionnelles otoneurologiques n'étaient pas ce qu'elles sont aujourd'hui.
La validation scientifique de ce travail a commencé à cette époque là grâce à l'intérêt que portait un savant, A. BERTHOZ, à la connaissance du domaine neuro-sensoriel et particulièrement vestibulaire chez l'humain. Son laboratoire s'occupait et s'occupe de la perception, de l'action et du mouvement.
Les résultats encourageants obtenus ont obligés à ouvrir la R.V. à un éventail plus large de malades: J-M S. a eu la grande honnêteté intellectuelle de n'opérer que les sujets qui seraient des échecs de la R.V. (mis à part les neurinomes). La R.V. est devenue le passage obligé entre le traitement médical et la chirurgie. Progressivement la R.V. est devenue le traitement par excellence des échecs thérapeutiques médicaux. Puis d'une manière plus précise une thérapeutique complémentaire et conjointe des traitements médicaux d'affections vestibulaires invalidantes. Au départ la décision était prise lorsque les résultats obtenus par le traitement médical étaient considérés comme insuffisant ou non satisfaisant. Par la suite la décision a été prise lorsque le retentissement de l'affection sur la vie socio-professionnelle était trop important.
Le côté "boule de neige" du recrutement en R.V. a amené la confrontation avec des cas particuliers, des cas rares. C'est ainsi que le vertige de position appelé VPPB, connu aujourd'hui à cause de sa médiatisation sous le sobriquet de "cristaux", ne répondait pas à la R.V. Le seul traitement était le VHT mis au point par M. NORRE. Le traitement consistait à répéter les positions provocatrices jusqu'à la non-reproductibilité du vertige. Il faut reconnaître que ce traitement était loin d'être agréable mais en plus le résultat était long à apparaître. Mais il n'y avait rien d'autre. Un concours de circonstances permit à A. Sémont de découvrir la "Manoeuvre Libératoire". Ce mouvement thérapeutique exclusif est comparable à une manoeuvre de réduction d'une articulation luxée . L'accès à la recherche scientifique a permis à l'auteur de valider la technique tout en comprenant l'utilité des actions thérapeutiques. La compréhension des mécanismes de la fonction d'équilibration a autorisé l'amélioration constante des techniques de la R.V..
Nous sommes alors au début des années 80. L'internationalisation de la R.V. commence à se faire. Les demandes sont nombreuses. G. FREYSS me prend à ses cotés. A partir de ce moment là grâce à l'aide conjointe d' A. BERTHOZ, toujours fidèle, et de G. FREYSS commence une grande période de recherche clinique, de validation de la R.V. et toujours et encore l'amélioration de celle-ci.
A la fin des années 80 le fauteuil rotatoire, outil principal, ne suffit plus. Les espoirs de soulagement des sujets ayant des difficultés d'inscription dans un univers tridimensionnel deviennent plus importants. Les techniques chirurgicales se sont affinées et surtout les indications deviennent plus précises. Les correspondants attendent beaucoup de la R.V. L'augmentation de la connaissance de la physiologie des systèmes se faisant parallèlement à l'augmentation de la puissance des ordinateurs nous pénétrons dans un nouveau domaine: l'interaction avec l'environnement. C'est ainsi que Biodigital nous accorde sa confiance en construisant le planétaire pour provoquer des stimulations opto-cinétiques en champ visuel total. Ce stimulus très puissant apporte aussi un soulagement dans des domaines encore inexplorés: le mal des transports, les troubles de l'équilibre du sujet âgé. Conjointement la posturographie dynamique computérisée apparaît aux USA. Neurocom, l'entreprise créée par L. NASHNER, me fait confiance en me fabriquant une machine de posturographie plus adaptée à l'usage de la R.V.. Smart est conçu et permet non seulement de soigner mais de quantifier les doléances des malades et de faire le suivi de leur traitement. Nous sommes alors capables de faire l'évaluation de la technique, de préciser les gestes les plus adaptés, de quantifier les résultats d'un traitement.
En 90 il faut songer à enseigner, transmettre le savoir pour que cette technique ne meure pas et puisse rendre service à un plus grand nombre de malades. Une équipe enseignante est créée avec G. FREYSS, E. VITTE, Ph. PERRIN, D. COUPEZ, Ph. COURTAT, N. JULIEN, J-L BENSIMON, D. BOUCCARA, O. STERKERS, J-P LAZARETH. Une équipe qui comprend des O.R.L. certes mais aussi une anatomiste, un neurologue, un neuro-radiologue, un audiologiste, des chirurgiens etc... Tous ces gens ont une notoriété internationale. L'enseignement dispensé est de très haut niveau. Beaucoup viendront, peu iront jusqu'au bout.
Les années 90 sont occupées par l'enseignement, les conférences. En 95 l'augmentation croissante de la puissance des ordinateurs, l'apparition de cartes spécialisées, la démocratisation, grâce à E. ULMER en France, de l'utilisation de caméras vidéo miniatures permet une nouvelle approche de l'observation des mouvements oculaires. Ceci va me permettre de mettre au point un protocole de quantification du fonctionnement du réflexe canalo-oculaire. Indépendamment de l'aspect diagnostic il va permettre une autre forme de suivi de la R.V.. Nous allons pouvoir savoir, avant chaque séance, quel est le degré de dysfonction du système vestibulaire et ainsi d'être encore plus performant par la pertinence de l'action.